Intervention du Gouverneur de la BRH , Monsieur Ronald GABRIEL , à l’occasion des 75 ans de l’IHSI
18 septembre 2025, Karibe Convention Center
C’est un grand honneur pour moi de vous adresser les propos de circonstances précédant la clôture de cet évènement majeur qui consacre les trois-quarts de siècle de l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique. Je prête ma voix à mes pairs du Conseil d’Administration et à l’ensemble du personnel de la Banque de la République d’Haïti pour saluer les réalisations combien utiles de l’Institut en matière de production de statistiques économiques et sociales et lui souhaiter le meilleur pour le quart de siècle qui le sépare de son centenaire.
Le meilleur, nous en avons besoin pour forger l’avenir et transformer nos adversités en opportunités à l’instar des forgerons qui nous ont légué cette terre que nous chérissons tous. Des forgerons, l’IHSI en a connu, dans la lignée d’un Jacques Vilgrain dont je chéris la mémoire et plus près de nous, pour ceux de ma génération qui ont eu la chance de bénéficier de leur enseignement passionné, dans la tradition de Mme Altidor, de Prospère Charles, de Gardiner, pour ne citer que ceux-là. Je m’excuse profondément de ne pouvoir être exhaustif dans la galerie des personnages qui ont marqué la vie de cette institution qui, depuis sa création, et aujourd’hui plus que jamais, s’inscrit dans une perspective prospective.
C’est d’ailleurs cet angle de vue que nous gagnerons à ériger en démarche institutionnelle qui nous interpelle aujourd’hui. Au-delà du symbolique du soixante-quinzième anniversaire qui nous vaut cette assemblée, les présentations et débats qui ont jalonné ces deux jours d’échanges portent heureusement à l’optimisme. Les difficultés extrêmes auxquelles fait actuellement face notre société, n’ont pas entamé notre détermination dans la quête de développement. J’y ai perçu l’imprégnation de la culture d’excellence de nos devanciers qui n’avaient, ni en qualité ni en quantité, les facilités technologiques dont nous disposons aujourd’hui. J’y vois également la prise de conscience des enjeux d’un présent que les innovations technologiques rendent obsolètes sur des intervalles de temps de plus en plus courts, comme si les moments réalisés du présent c’était hier. J’en déduis finalement le besoin impénitent de former cette génération qui garantira notre devenir dans ce que nous avons d’existentiel en tant que nation.
Car, ne nous y méprenons pas. Même si, à travers les algorithmes, les plateformes et l’intelligence artificielle, il conduit vraisemblablement à redessiner la nature et les conditions des échanges culturels et économiques, le numérique façonnera les dynamiques de société mais ne devrait pas conduire à détruire les identités de peuple. Du moins devrions-nous nous battre pour sauvegarder cette diversité qui est un facteur primordial d’humanité ? Et c’est à ce niveau qu’intervient la nécessité d’une réflexion globale, donc stratégique, qui donne ancrage à notre politique numérique, et qui puisse aussi donner un contenu à ce qu’il convient d’appeler notre souveraineté numérique. Le sceau de cette démarche est la promotion d’une culture de collecte et de consignation de données qui couvre de façon également prioritaire notre riche passé de peuple, jusqu’ici insondé , et notre présent, que nous voulons être prometteur, pour prospecter les voies de faisabilité de notre futur.
Souffrez que je sois un peu plus explicite dans ce que je viens de dire. Je me réjouis que le thème de la première journée renvoie à « Mémoire institutionnelle, concepts et dynamiques statistiques au cœur du Développement National ». Rien ne saurait être plus évocateur et plus inspirant. Car nous avons un sérieux problème de mémoire institutionnelle pour m’en tenir à ce seul aspect de notre mémoire de société, sinon :
- Comment expliquer que l’IHSI, truffé de plusieurs générations de compétences avérées, n’ait été pourvu de moyens nécessaires pour conduire les enquêtes spécifiques de comptes nationaux sur une base régulière. Ce qui nous aurait permis de mieux capter les aspects macroéconomiques et sectoriels des nombreuses mutations qui ont traversé l’économie haïtienne depuis l’enquête de 1976 ?
- Comment expliquer notre incapacité, essentiellement informationnelle, à lier statistiques sociales, statistiques économico-financières, statistiques démographiques, statistiques de patrimoine physique et culturel, dans des cadres d’analyse qui orientent les politiques publiques de façon éclairée et, selon une démarche holistique, qui réduisent, au possible, les biais inhérents aux « educated guess» ?
Mes exemples peuvent donner l’impression de m’intéresser surtout aux statistiques qui touchent à mes préoccupations de banquier central. Mais ce n’est pas le cas. Je laisse le soin aux diverses compétences versées dans leurs domaines respectifs de dresser les bilans appropriés et selon cette perspective holistique qui nous tient tous à cœur.
Je sais que les faits évoqués plus haut ont été débattus sous une forme ou sous une autre par les intervenants des deux journées et que mes propos ne sont pas des nouveautés. Mais, je voudrais partager la leçon que j’en tire et en faire un élément à conviction dans le débat. Il est impératif de ne pas reproduire les erreurs du passé qui consistent à bâtir des acquis de savoir technologique sur des lacunes institutionnelles et informationnelles cumulées. Ce qui entame la pertinences des politiques publiques et celle des décisions des agents socio-économiques.
Il doit être possible de répertorier les hiatus qui ont jalonné notre comportement social face aux sauts technologiques connus des huit dernières décennies. Le développement d’une culture de collecte, de consignation et de vulgarisation de données sur tout le corps social et sur des horizons temporels lointains est vital pour inscrire notre société dans la modernité et nous offrir un raccourci dans le cheminement qui conduit à notre développement.
Je termine ici mes propos sans les conclure parce que j’ai la conviction que la problématique soulevée reste suffisamment d’intérêt pour provoquer ce débat majeur que mes amis de l’Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique appelleront évidemment de tous leurs vœux.
Je vous remercie de votre attention.
Ronald Gabriel
Gouverneur
