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Les Bons BRH: «un instrument de contrôle monétaire» | BRH


Les Bons BRH: «un instrument de contrôle monétaire»


Frantz Duval : Vous venez de parler tout à l’heure de la Sogebank qui a toujours été rentable. Près de 10 ans après leur introduction, on se pose de plus en plus de questions sur les Bons BRH. Les Bons BRH représentent à peu près ce que les banques font en terme de bénéfices nets. En tant qu’économiste, êtes-vous pour le maintien des Bons BRH tels qu’ils sont actuellement ? P.M. Boisson: Deux choses que j’aurais aimé dire, une correction et une réponse à votre question. Une correction premièrement : Comparer les revenus des Bons BRH au profit des banques c’est comme comparer chiffres d’affaires et profit. Les Bons BRH ne rapportent pas aux banques autant que vous le dites, et je vais vous dire pourquoi. Les Bons BRH sont essentiellement financés par les dépôts à terme. Si vous regardez le mouvement des taux d’intérêts vous allez vous rendre compte que chaque fois que les taux d’intérêts augmentent sur les Bons BRH, ils augmentent aussi sur les dépôts à terme. Donc, c’est le net qui est comparable au profit, pas le brut. C’est-à-dire, la marge d’intérêt net faite sur les Bons BRH qui devait être comparée et non pas la marge d’intérêt brut. En ce sens, non, les Bons BRH ne constituent pas la majeure partie des profits des banques, bien au contraire. Maintenant, est-ce que je suis pour ou contre les bons BRH ? Je suis certainement pour et je vais dire pourquoi. Bons BRH est un instrument de contrôle monétaire. Ça n’a rien à voir avec un instrument de profit des banques. En fait, les Bons BRH ont été introduits pour permettre que l’argent qui est créé… parce que l’Etat crée de la monnaie. Cette monnaie se retrouve fatalement dans le système bancaire. Quand elle se retrouve dans le système bancaire et qu’elle n’est pas utilisée par les banques au niveau des crédits, puisque la demande des crédits est très faible en Haïti. Je fais une petite parenthèse pour vous dire qu’aujourd’hui, Haïti est un des pays avec les demandes de crédits les plus faibles au monde. Parce que nous avons par exemple 13% de notre PIB qui sont investis en crédits au secteur privé, tout compris, alors que l’Amérique latine en moyenne a 28%, l’Asie a 60% et les pays développés ont plus que 100%. Donc nous sommes un pays à crédit très faible. Et les raisons pour lesquelles la demande est faible sont multiples et très claires. Le sous-développement du pays fait que le secteur formel, qui est servi par les banques à cause des méthodologies de crédit des banques est devenu de plus en plus faible dans l’économie. Donc l’industrie a énormément souffert des problèmes que le pays a eus au cours des 20 dernières années, il en résulte qu’il y a très peu de demandes de crédits. Il y a très peu de demandes de crédit quand l’Etat crée de la monnaie et que cette monnaie rentre dans les banques, si les banques n’ont pas les moyens de replacer cette monnaie, vous avez deux risques: Le premier risque, c’est que les banques ne prennent pas cet argent. Et c’est un risque qui s’est matérialisé dans les années 80. Les banques se disaient alors je n’ai que faire de cet argent. Je ne peux pas continuer à payer des gens, des caissiers et des intérêts si l’argent je ne peux pas le placer. Or, si cet argent n’est pas placé dans les banques, il va aller chasser immédiatement les devises et faire pression sur le taux de change. Deuxième risque, c’est les banques utilisent cet argent pour faire de mauvais crédit. En le faisant, il va avoir deux types de retombées. Premièrement, menace sur la fiabilité à long terme des banques, en terme de leur solvabilité et menace sur le taux de change, car quand vous faites plus de crédits vous injectez aussi de l’argent qui à l’équilibre dans l’économie va créer de l’inflation et aussi de la pression sur le taux de change. Donc, c’est une obligation pour l’Etat de trouver un moyen de stériliser des ressources que lui-même a mises en circulation. Auparavant, l’Etat le faisait à travers les réserves obligatoires. Mais les réserves obligatoires étaient arrivées à un certain moment à plus de 70% sur les dépôts à vue. On ne pouvait pas continuer à capturer la liquidité sous forme de réserve obligatoire. En dehors de toutes distorsions que ce cycle créait, il n’était pas viable à long terme. Ce faisant, l’Etat, comme dans tous les pays du monde, s’est retrouvé devant l’évidence qu’il paye des intérêts sur sa propre tête, parce que les Bons BRH ne sont qu’une façon pour la Banque centrale de prendre de l’argent en circulation pour financer du crédit qu’elle fait à l’Etat. Lequel crédit est dû aux déficits budgétaires accumulés au cours des ans. Donc ça n’a rien à voir avec les banques elles-mêmes qui sont passives dans les Bons BRH. Au fond, le Bon BRH n’est qu’un résidu, ce que la banque reçoit comme masse monétaire et ce qu’elle peut placer en crédit. Donc ça ne contribue pas, mais pas du tout massivement au profit des banques comme on le pense. Ca varie d’une période à l’autre. Mais je peux vous dire qu’à certain moment, les taux d’intérêt réels qu’on paie sur les dépôts à terme sont même arrivés à être plus élevés que ceux qu’on reçoit sur les Bons BRH. Frantz Duval : Vous venez de faire allusion tout à l’heure au crédit aux entreprises, etc. On vient de vivre quelque chose très simple, la Digicel vient d’arriver sur le marché, les banques haïtiennes n’étaient pas en mesure d’adresser sa demande de crédit, c’est-à-dire pour une grande entreprise c’est quasiment impossible pour les banques haïtiennes d’adresser le crédit, en même temps elles ne cherchent pas à adresser ou à stimuler la demande que les ménages auraient pu avoir non plus. Enfin de compte , est-ce qu’il n’y a pas… ? P.M. Boisson: C’est deux choses différentes. La raison pour laquelle les banques commerciales ne sont pas capables d’adresser la demande de Digicel est très simple. Les banques ont une taille limitée ( par le marché) en Haïti. Aujourd’hui, l’ensemble du système bancaire haïtien a environ entre 1.3 et 1.4 milliard de dollars américains dépendant du taux de change. Ceci est la taille d’une petite banque aux Etats-Unis, une petite banque communautaire. Ensuite quand on regarde le ratio capital, les banques ont à peu près 60 à 70 millions de dollars américains de capital. Or la régulation prudentielle de la Banque centrale impose aux banques une limite de 20% de leus fonds propres maximum. C’est-à-dire vous ne pouvez pas faire à un entrepreneur individuel plus de 20% si l’entrepreneur n’est lié à la banque. Si vous prenez 60 millions collectivement, le système bancaire ne peut pas faire de prêt à un entrepreneur individuel de plus de 12 à 14 millions de dollars américains. Or l’investissement de la Digicel est de 125 millions de dollars. Donc 10 fois plus élevés de ce que tout le système bancaire dans son ensemble, si elles s’entendaient entre elles ne pourraient faire à la Digicel. Il y a certainement un problème de taille qui fait que même un investissement beaucoup moins que celui de la Digicel n’aurait pas pu être financé. Donc ça c’est un problème de nature différente qui est un problème mécanique, la taille. Maintenant l’autre problème dont vous parlez à savoir est-ce que les banques alimentent les ménages ? Moi je dirais que je raisonne par différence. Certainement qu’aujourd’hui le crédit au ménage et le crédit aux petites et micro-entreprises est nettement plus élevé que ce qu’il était, il y a à peine dix ans. Je vais vous donner des chiffres. Quand je suis rentré dans le système bancaire en 1991, il y avait à l’époque à peine 2500 prêts du système bancaire dans son ensemble. Les cartes de crédit n’existaient pas, le micro-crédit n’existait pas. Aujourd’hui, si vous additionnez mécaniquement les grands acteurs de la carte de crédit ( Sogebank, Unibank, Capital, etc), vous arrivez peut-être à 25 mille cartes de crédit. Comparer à 2500 crédits qu’il y avait, vous avez 25 mille cartes de crédits qui sont des crédits. Maintenant quand vous regardez le marché, il y a 87 mille micro-crédits qui sont donnés au sein des 18 institutions membres de l’ANIMF (Association nationale des institutions de micro-finance) et qui ne représentent que 12% de la demande. Mais si vous prenez 87 mille plus 25 mille, ça fait 112 mille crédits 15 ans après. La population haïtienne n’a pas augmenté à cette proportion là. Donc il y a clairement et nettement une dynamisation extrêmement importante du crédit aux petits et aux ménages qui a été faite par le système bancaire. Maintenant rappelez-vous ce qu’on a toujours dit dans toutes nos interviews. Le système bancaire doit faire attention. La fonction d’une banque n’est pas de venir distribuer de l’argent et de le perdre. C’est de faire des crédits rentables qui se remboursent. Or sur ce plan, je peux dire que toutes ces additions dont on parle ont été des additions soutenables. Car, aujourd’hui, les sociétés de cartes de crédit sont rentables. Elles n’ont pas fait de mauvais crédits. Le micro-crédit est rentable bien les banques elles-même en terme de nombre de crédits (87 mille) n’ont pas la majorité. Il y a beaucoup d’entreprises comme Fonkoze, ou bien Finca qui donnent aussi des micro-crédits de statues différentes. Pour résumer ce que je veux dire, il y a un énorme effort qui est dans des situations difficiles pour donner des petits crédits aux ménages. Les téléphones dont vous parlez, il y a des entreprises bancaires, comme la nôtre, qui donnent des crédits aux gens pour acheter des téléphones. Donc ça a considérablement amélioré en 15 ans. Frantz Duval : Puisque vous parlez des téléphones, on peut faire une constatation de ce que nous vivons ces jours-ci. Il y a quelques années de cela, les Haïtiens avaient trouvé de l’argent pour mettre dans les coopératives et aujourd’hui tout le monde trouve de l’argent pour acheter un téléphone. C’est le crédit qui finance, c’est une épargne cachée. Comment la banque analyse tout ça ? P.M. Boisson: Nous avons été, comme tout le monde, frappés par la vigueur de la demande pour les téléphones. C’est extraordinaire. Nous ne pouvons pas dire que nous avons prédit ça. Le dernier succès de Digicel est remarquable et la Comcel est tout aussi remarquable avec 500 mille abonnés. Je me souviens qu’au début des années 80, il y a avait 60 mille lignes actives en Haïti. Une seule compagnie, La Comcel a, à elle seule aujourd’hui, 500 mille téléphones. C’est extraordinaire. Ceci étant dit, l’économiste que je suis vous dira la chose suivante : Si on compare aux autres pays qui ont des populations similaires à celle d’Haïti, nous sommes encore vraiment faible. Nous parlons encore d’un marché qui est couvert à moins de 10%. Donc, ce n’est pas encore ça. Maintenant, d’où les gens prennent l’argent ? Je n’ai pas le chiffre exact, mais une partie substantielle de ces achats de téléphones vient de l’argent de la diaspora. Or, si il y a une partie de l’économie haïtienne qui a cru de façon phénoménale au cours des 20 dernières années, c’est bien la diaspora. Car, quand on parle de PIB, on oublie que les Haïtiens qui sont aujourd’hui dans la diaspora, ce sont des Haïtiens qui étaient en Haïti. Donc, il ne faudrait pas considérer seulement comme revenu additionnel à l’économie haïtienne, le revenu qui s’envoie en Haïti, ce n’est qu’une fraction. Quelqu’un qui, par exemple, faisait 700 ou 800 dollars en Haïti par mois en Haïti, traverse un bras de mer et deux ans après il fait 25 ou 26 mille dollars américains par année. Cela représente 2 mille dollars US par mois par rapport à 100 qu’il gagnait, il y a deux ans. Donc, c’est du PIB qui n’est pas généré en Haïti mais en dehors d’Haïti par des Haïtiens. Ces Haïtiens envoient une fraction qui représente à peu près 10% de leurs revenus et qui génère environ un milliard de dollars en Haïti. Soit plus de 20% du PIB. Donc c’est un succès extraordinaire. Ce succès favorise un pouvoir d’achat qui n’existait pas avant et c’est lui en grande partie qui remplit cette demande de téléphone. Ceci étant dit, certaines gens diront que parler au téléphone n’est pas productif. Pourquoi ne construit-on pas de préférence des routes avec tout cet argent ? Cependant, en économie, ce qui détermine la valeur, c’est l’utilité. Si quelqu’un veut dépenser pour parler au téléphone c’est qu’il y trouve son bonheur. Ce n’est pas de l’argent qui lui a été donné comme aide externe. C’est l’argent qui est généré par une production de services et de biens par des Haïtiens. Pour moi, je trouve cela très positif et tout à fait soutenable. Bien sur l’achat de téléphone lui-même n’est qu’un épisode qui se fait une fois ou deux fois en 3 ou 4 ans. Ce qui est surtout remarquable, c’est la grande dérivation du pouvoir d’achat pour payer des minutes de téléphone. à suivre…



27 Avril 2025


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