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Discours du Gouverneur Jean Baden Dubois à l’ouverture de la 10ème Edition du Sommet International sur la Finance | BRH


Discours du Gouverneur Jean Baden Dubois à l’ouverture de la 10ème Edition du Sommet International sur la Finance


Je commence par saluer tous les intervenants qui ont rendu possible cette édition du
sommet de la finance.

Je salue de manière particulière :

Le Président, Son Excellence Monsieur Jovenel Moise
Monsieur le Premier Ministre,
Monsieur le Ministre de l’Économie et des Finances
Monsieur le PDG du Groupe Croissance
Monsieur le PDG de PROFIN
Mesdames, Messieurs les représentants de la presse
Mesdames et Messieurs les participants virtuels, tous les réseaux sociaux confondus.

Comme vous le savez, le sommet de la finance est devenu l’un des
événements économiques les plus attendus du pays depuis son lancement par le
groupe Croissance, il y a dix ans.

Chaque année, des spécialistes du secteur économique et financier sont invités à se
prononcer sur un thème à la fois utile et actuel. L’année dernière, par exemple,
le double thème retenu – « financer l’agritourisme en Haïti » et « faciliter l’inclusion
financière par les TIC » – s’inscrivait en droite ligne des innovations que la BRH ne
cesse de promouvoir de manière à contribuer à la croissance soutenue de l’économie
haïtienne.

Et nous voici en 2020, où le monde entier se retrouve à porter des réponses à une
pandémie qui a tout chaviré sur son passage. Notre pays n’est point épargné non plus,
ce qui, cette année, a placé le fléau au centre de la réflexion au Sommet de la
Finance, à travers le thème retenu : « Le COVID-19 : financer la réponse et préparer
l’après-crise ». De plus, le virus a aussi exigé, pour l’organisation de l’évènement,
l’adoption du format virtuel, seul propice à l’observance effective de la consigne de
distanciation sociale.

Cela dit, les organisateurs auraient pu maintenir le format présentiel coutumier de la
conférence, en décalant sa tenue de quelques mois. Cependant, une telle décision eût
perturbé la longue et efficace pratique d’organisation du Sommet au mois d’avril.

De plus, vu que la moitié de la communauté mondiale se retrouve confinée au moment
où se déroule l’édition de 2020, il était raisonnable d’estimer que celle-ci puisse être
visionnée par un très large public qu’il aurait été impossible d’accueillir dans une salle
de conférence.

Il faut retenir aussi la réalité de l’absence certaine de la majorité de ces participants
virtuels qui, si le Sommet arrivait à se tenir en présentiel vers la fin de l’année,
devraient engager des coûts importants de déplacement et d’hébergement associés à
un voyage en Haïti.

Nous voici donc, Mesdames et Messieurs, virtuellement réunis pour explorer quelques
pistes de réflexion sur une pandémie qui nous engage dans un combat collectif pour la
survie. Je partage donc avec vous mes propres réflexions, qui incluront deux volets.
D’abord, les difficultés liées à la pandémie, les conséquences pour l’économie et les
contraintes pour les politiques publiques. Ensuite, les enseignements et les leçons à
tirer de la crise.

Sur le premier point, j’aimerais souligner que nous faisons face à une crise à laquelle
aucun pays n’était vraiment préparé. Cette impréparation est encore plus patente dans
les pays en développement, dont la situation sociale et sanitaire souffre de déficiences
qu’expliquent les faiblesses de la sécurité sociale et des infrastructures de santé.

Chez nous, en Haïti, ce panorama social et sanitaire se déploie dans un contexte
d’épisodes récurrents d’instabilité politique, lesquels furent nettement plus prononcés
au cours des deux dernières années. Les effets de cette crise politique sont
désastreux pour la performance économique, comme en témoignent la dépréciation
continue de la monnaie nationale, un niveau d’inflation proche de 20% et la contraction
de 0.5% du PIB en 2019.

À cela s’ajoute une succession de catastrophes naturelles, dont certaines majeures,
surtout au cours des décennies 2000 et 2010. Il en est résulté des pertes en capital
importantes, évaluées par la Banque Interaméricaine de Développement et la Banque
mondiale à 120% du PIB en 2010 (le tremblement de terre) et 32% du PIB en 2016 (le
cyclone Mathieu). Cette accumulation de chocs négatifs nous laisse, de nos jours, aux
prises avec une crise humanitaire dont une caractéristique première est la situation
précaire de 4,6 millions d’Haïtiens nécessitant une assistance humanitaire d’urgence.

Voici donc, Mesdames et Messieurs, l’état dans lequel la grave crise sanitaire du
COVID-19 a trouvé notre pays.
Qu’avons-nous déjà fait pour juguler cette crise ?
Que pouvons-nous faire de mieux, vu les circonstances que je viens de décrire ?

Pour enrayer la pandémie, le gouvernement haïtien a décrété l’état d’urgence sanitaire
avec le confinement de la population, la fermeture des écoles, un couvre-feu, la
réduction des heures de travail en présentiel, des restrictions de circulation, la
fermeture des magasins pour les produits non essentiels, celle des frontières, et enfin

l’interdiction du trafic aérien, sauf pour les vols commerciaux et humanitaires.

Quant au confinement, le gouvernement haïtien a opté pour une application partielle,
faisant confiance à la compréhension et à la solidarité des citoyens pour mettre en
pratique les gestes barrière. Un comité scientifique a été mis en place afin de définir la
stratégie du gouvernement dans la lutte contre l’épidémie.

À date, les résultats des tests effectués par le MSPP indiquent un faible indice de
contagion dans le milieu haïtien. Mais les scientifiques restent inquiets, et une partie
de la population, incrédule.

Les mécanismes de soutien offerts par le FMI et d’autres bailleurs de fonds
internationaux devraient permettre au gouvernement de dégager de nouvelles
ressources pour lutter contre le corona virus. Cependant, même les pays dotés de
moyens financiers importants ont été confrontés à des difficultés certaines en matière
d’approvisionnement en équipements sanitaires.

En temps normal, on est en présence d’un oligopsone, l’État étant le seul acheteur
face à une offre abondante provenant de fournisseurs mis en concurrence sur le
marché. Dans la situation actuelle, les règles d’engagement semblent avoir été
modifiées dans la mesure où il apparaît que les fournisseurs imposent leurs conditions
aux États. Ainsi, les fournisseurs qui détiennent des stocks stratégiques alimentent la
spéculation et font augmenter les prix au détriment des pays les plus démunis.

De son côté, la BRH a mis en œuvre un ensemble de mesures visant à alléger les
contraintes qui pèsent sur le système financier. Ces mesures consistent notamment :

• à réduire le taux d’intérêt directeur et les coefficients de réserves obligatoires sur les
passifs libellés en gourdes et en devises étrangères des banques commerciales ;
• à diminuer le coût d’accès à la liquidité pour les banques à travers la baisse du taux
de prise en pension des bons BRH et la suspension des frais relatifs aux
virements interbancaires pour les clients ;
• à limiter temporairement les coûts de transaction pour les clients en décalant les
remboursements des prêts ;
• à relever les limites applicables aux transactions de la Banque à Distance.
Évidemment, ces mécanismes de soutien à l’économie pourraient se révéler
insuffisants en fonction de l’ampleur de la crise, mais le gouvernement pourra, le cas
échéant, mobiliser les ressources budgétaires disponibles en vue d’atteindre les
couches les plus vulnérables et de compenser, par la même occasion, une éventuelle
baisse de la demande.

Mais déjà, le gouvernement a pris quelques mesures pour sinon alléger la charge
fiscale, du moins pour l’étaler dans le temps.

Parmi les mesures envisagées, les plus importantes sont les suivantes :

• décaler les paiements de l’impôt sur le revenu pour les entreprises et les particuliers ;
• surseoir aux amendes et pénalités dues au retard de paiement, jusqu’au 30 juin
2020 ;
• transférer du pouvoir d’achat à 1,5 millions de familles de 5 à 6 personnes ;
• subventionner 100.000 enseignants du secteur privé et professeurs d’université ;
• faire une distribution massive de kits alimentaires ;
• prendre en charge les salaires de plus de 55.000 employés de la sous-traitance dans
le secteur textile ;
• accorder une prime spéciale au personnel soignant des hôpitaux et aux forces de
l’ordre ;
• subventionner le secteur du transport.

Ces mesures peuvent avoir un impact positif sur la demande, à travers la
consommation des ménages. Sur le court et même le moyen terme, elles pourraient
aussi avoir un effet de compensation sur une éventuelle baisse des transferts sans
contrepartie qui alimentent la consommation.

Cela dit, les difficultés sont nombreuses sur le plan humain.

La première difficulté est le déni de la réalité circulant dans des secteurs de la
population. Exprimé par de l’incrédulité, ce déni tend à limiter la portée du confinement
et à favoriser une propagation silencieuse de la maladie. L’actualité nous l’a rappelé, il
y a une semaine, lorsque des riverains avaient pénétré de force dans un établissement
hospitalier des Côtes-de-Fer pour récupérer un malade infecté par le COVID-19.

La deuxième difficulté est la peur de la stigmatisation qui pourrait porter certains
malades à s’isoler, favorisant ainsi des foyers de contamination difficiles à détecter, à
l’instar de ce qui s’était passé en Équateur.

Ce déni et cette peur recèlent des risques importants, en termes surtout de
propagation de la maladie, et les conséquences pour l’économie ne tarderont pas à se
faire sentir.
Au niveau du secteur réel, les mesures de la Banque Centrale, alliées à celles du
Ministère de l’Economie et des Finances et des Ministères sectoriels, devaient
permettre de mitiger l’impact de cette double crise sanitaire et économique sur notre
posture de croissance.

Nous travaillerons donc à minimiser les coûts liés à cet environnement délétère et à
créer les conditions les meilleures pour un rebond que nous voudrions robuste et
durable. Cette logique veut que nous nous situions dans un horizon de futur proche
pour optimiser les facteurs capables de porter cette perspective dans le domaine du
faisable.

L’amplification d’activités de production de nature autocentrée, notamment dans les
filières du secteur primaire devrait permettre d’aboutir à cet objectif.

De ce fait, la baisse prévue des transferts sans contrepartie, devrait trouver, dans un
certain regain de l’offre local de biens (non échangés), une contrebalance dans la
baisse de la demande de devises assortie à la demande correspondante de biens
d’importation.

La prolongation des conditions adverses au comportement des transferts, telle que
prévue par la Banque Mondiale, devrait trouver un effet contre cyclique dans cette
posture de la production locale que nous gagnerons à systématiser. Voici le cas de
figure que nous voulons promouvoir et adapter pour dégager des éléments
d’opportunités de la crise actuelle.

Mesdames et Messieurs,

La crise sanitaire du COVID-19 doit être pour nous l’opportunité de réfléchir sur le
problème fondamental qui renvoie à notre capacité à gérer efficacement les situations
de pénurie. Par rapport à cet aspect de la crise, les leçons à tirer sont multiples. Par
exemple, les difficultés d’approvisionnement en équipements sanitaires appellent à des
solutions, à la fois innovantes et à coûts réduits, prises sur la base d’arbitrages rapides.

En effet, en dépit des décaissements effectués par le Trésor public de façon autonome, les
pouvoirs publics se trouvent confrontés aux difficultés d’approvisionnement et à
l’augmentation des coûts qui découlent notamment du transport de ces équipements. Le
défi étant l’obligation d’avoir tout ce qui est nécessaire avant le pic de la pandémie afin
d’éviter la saturation des hôpitaux déjà non suffisamment équipés.

La BRH, de concert avec le Ministère de l’Economie et des Finances, a tout fait pour
qu’Haïti bénéficie du soutien financier du FMI et des autres bailleurs de fonds
internationaux.

Ces engagements sont parfois lents à se matérialiser, alors que l’urgence de la situation
nous oblige à agir sans attendre.

Il apparaît donc clairement que nous devons mettre en place la permanence de stratégies
viables pour trouver des solutions adaptées aux crises exceptionnelles comme celle du
COVID-19.

L’outil budgétaire en est une composante majeure. Le développement de budgets pluri
annuels viables devrait nous permettre de sortir du carcan du PPTE (Pays Pauvres Très
Endettés) et d’améliorer notre capacité d’emprunt sur les marchés financiers lorsque des
situations exceptionnelles comme la pandémie actuelle nous obligent à élargir rapidement
nos options de financement des dépenses sociales.

C’est aussi à ce prix que les politiques publiques pourront limiter les atteintes de cette
nature au pouvoir d’achat de la gourde et renforcer leur crédibilité pour affronter de
nouveaux défis.

Je vous remercie de votre attention et je déclare ouvert le Sommet International Virtuel de
la Finance et de la Fintech de 2020

Jean Baden Dubois
Gouverneur



14 Juin 2025


130.8511



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