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Discours du Gouverneur Jean Baden Dubois à l'occasion de l'ouverture du Salon de l'Économie Numérique organisé par le CONATEL | BRH


Discours du Gouverneur Jean Baden Dubois à l’occasion de l’ouverture du Salon de l’Économie Numérique organisé par le CONATEL


Monsieur le Secrétaire d’Etat des Travaux Publics
Honorable Président de la Commission des Travaux Publics de la chambre des députés
Monsieur le Directeur Général du CONATEL
Messieurs les Directeurs généraux
Monsieur le Représentant de l’UIT, Union internationale des Télécommunications
Monsieur le Représentant de l ‘ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers)
Madame la Représentante de la Banque mondiale en Haïti
Messieurs les Hauts cadres de l’Administration Publique
Mesdames et Messieurs les Représentants des Opérateurs de Télécommunications
Mesdames et Messieurs les Représentants de la société civile
Mesdames, Messieurs

J’éprouve un réel plaisir à participer et échanger avec vous sur un thème innovateur : l’économie numérique et l’inclusion financière au Salon de l’Économie Numérique, un espace qui allie les technologies de l’information et de la communication, la finance et l’économie digitale.

Selon L’OCDE et l’observatoire du Numérique, l’économie numérique est une expression qui couvre des réalités très différentes selon les auteurs, d’autant plus que cette dénomination a évolué au cours des années : nouvelles technologies, NTIC, nouvelle économie, technologies de l’information et de la communication, économie électronique.

Dans le schéma de l’économie numérique, il convient de distinguer quatre catégories d’acteurs :

1. Les entreprises des secteurs producteurs des services des technologies de l’information et de la communication (STIC) au sens de l’OCDE, dont les activités s’exercent dans les domaines de l’informatique, des télécommunications et de l’électronique.

2. Les entreprises dont l’existence est liée à l’émergence des TIC (services en ligne, jeux vidéo, e-commerce, médias et contenus en ligne, …).

3. Les entreprises qui utilisent les TIC dans leur activité et gagnent en productivité grâce à elles (banques, assurances, automobile, aéronautique, distribution, administration et tourisme…).

4. Les particuliers et les ménages qui utilisent les STIC dans leurs activités quotidiennes, pour les loisirs, la culture, la santé, l’éducation, la banque, les réseaux sociaux. Dans la dernière étude publiée en mai 2014, la Banque interaméricaine de développement (BID) sur le développement de l’internet à large bande dans les 26 pays de l’Amérique latine et les Caraïbes, Haïti est classé en dernière position.

Antonio Garcia Zaballos, responsable des télécommunications et de l’initiative du haut débit dans la BID stipule que «Dans une société moderne, la large bande est l’ingrédient clé de la politique publique pour accélérer la croissance économique et réduire les inégalités». Cette étude estime qu’une pénétration de 10% des services à large bande dans la région, se traduirait par une augmentation moyenne de croissance de 3,2% du produit intérieur brut (PIB) et 2,6% de la productivité.

Il poursuit plus loin : « le manque de coordination entre les secteurs public et privé augmente, en particulier en Haïti, la fracture numérique entre les zones urbaines et rurales. Pour que Haïti profite de cette technologie, il est nécessaire que toutes les parties prenantes, y compris les entreprises, les législateurs et les régulateurs travaillent ensemble vers un objectif commun de réduction de la fracture numérique ».

La Banque Centrale se trouve aujourd’hui au carrefour de la technologie et de la finance et est appelé de par son rôle de régulateur financier à accompagner, à mettre en place les garde-fous et parfois à prendre l’initiative en vue de l’expansion de tout secteur stratégique de l’économie.

L’économie numérique est aujourd’hui un vecteur de croissance, de productivité et de compétitivité des entreprises et des pays. Elle est la transformation des informations utilisées ou fournies en informations numériques. La contribution totale de l’économie numérique sur la croissance des pays est composée d’un effet direct via l’accumulation de capital numérique et l’effet indirect mesuré par la diffusion du capital numérique dans le système productif.

L’impact du numérique sur l’inclusion financière est l’évolution rapide des services financiers numériques destinés aux pauvres. En effet, à travers l’inclusion financière, nous visons à assurer le plus large accès possible à l’épargne, au crédit et à d’autres produits et services financiers dans le but de réduire la pauvreté et l’inégalité de revenus pour favoriser une société financièrement et économiquement plus inclusive.

Selon Mark Warshauer dans son livre : Technology and Social Inclusion : Rethinking the Digital Divide, « Il existe de nombreuses similitudes entre l’alphabétisation et l’accès aux TIC.

Tout d’abord, à la fois l’alphabétisation et l’accès aux TIC sont étroitement liés aux progrès de la communication humaine et les moyens de production de connaissances.

Deuxièmement, tout comme l’accès aux TIC est une condition préalable à la pleine participation à la phase d’information du capitalisme, l’alphabétisation était (et reste) une condition préalable à la pleine participation dans les étapes industrielles du capitalisme.

Troisièmement, l’alphabétisation et l’accès aux TIC nécessitent une connexion à un élément physique (un livre ou un ordinateur ou portable), à des sources d’information qui exprimées en tant que contenu à l’intérieur ou par l’intermédiaire de cet artefact physique et à un niveau suffisant pour traiter et faire usage des compétences de cette information.

Quatrièmement, les deux impliquent non seulement de recevoir des informations, mais aussi de produire. Enfin, ils sont tous deux liés à des notions quelque peu controversées de clivages sociaux: le grand fossé de l’alphabétisation peut accentuer la fracture numérique et vice-versa.

Pour permettre aux couches les plus défavorisées de la population d’avoir accès aux produits financiers de base, il nous faut abandonner les sentiers battus et adopter des solutions innovantes. Il est nécessaire que l’État tienne compte des défaillances structurelles pour qu’à travers le numérique nos 80% d’adultes de plus de 15 ans aient accès à des services financiers. Le faible niveau d’inclusion financière constitue une barrière au développement socio-économique dans les pays en développement.

Comment parler d’inclusion financière, si l’agent économique ne peut pas être identifié, n’a pas d’adresse connue et se trouve dans l’incapacité d’accéder à des institutions financières ?

Il existe toutefois des opportunités, 62% de la population de plus de 15 ans en Haïti a un téléphone mobile. Ainsi, à travers cet instrument, les institutions financières bancaires et non bancaires peuvent plus facilement atteindre les non bancarisés, ce qui fait du numérique un moyen rapide et efficace pour booster l’inclusion financière.

Pour Jeffrey Sachs éminent économiste le téléphone mobile est «la technologie la plus transformatrice pour le développement ». La publication phare de la Banque mondiale sur les technologies de l’information et de la communication pour le développement (ICT4D) fait une remarque similaire: «La communication mobile a sans doute eu un plus grand impact sur l’humanité dans une période de temps plus courte que toute autre invention dans l’histoire humaine ».

L’avènement du portable ou téléphone mobile a donc grandement contribué à réduire la fracture numérique et offre une chance inouïe aux pays en voie de développement comme Haïti, une porte vers l’inclusion sociale. Les coûts d’accès aux grands réseaux mondiaux se trouvent ainsi réduits via l’utilisation de la technologie mobile versus la technologie fixe ou les ordinateurs de bureau ou portatifs et ce pour plusieurs raisons. Je peux nommer au moins 5 raisons:

a) C’est un dispositif peu couteux : les expériences de l’Internet mobile sont possibles sur les périphériques qui sont souvent moins chères que les dispositifs « fixes » — spécifiquement les postes de travail (PCs). Le coût du poste de travail joue énormément dans la détermination de la forme et l’étendue de l’accès. Dans la majorité des cas, les gens veulent les combinés mobiles — pour faire des appels téléphoniques, envoyer un texte, enregistrer des photos et autres — donc le coût supplémentaire pour l’utilisateur d’acquérir un appareil avec une connexion de données est souvent zéro.

b) Un prix basé sur l’utilisation : Un client n’a plus besoin d’avoir un compte en banque ou une carte de crédit, une adresse ou un profil de crédit pour avoir accès au réseau. Une carte prépayée suffit, « pap padap » ou « la pou la ». Au lieu de cela, ils payent par ajout de crédits, de petits paquets de temps d’antenne, dans les services de télécommunications qui sont å leur portée.

c) Connexions sans fil : Ainsi, la communication via mobile réduit le coût de la connectivité initiale de services téléphoniques dans la plupart des cas, pour la plupart des utilisateurs et a contribué à rendre les coûts initiaux de la connectivité de voix abordable pour des milliards de personnes. La même chose qui se passe actuellement avec l’accès Internet, pour des gens comme l’étudiant, le cultivateur qui ne pouvaient pas se permettre une connexion haut débit fixe.

d) C’est personnel : Contrairement à une connexion fixe, le portable permet de créer souvent une relation personnelle et intime. Les utilisateurs créent des liens solides avec leurs petits périphériques, écrans et interfaces conçus pour un seul utilisateur à la fois et souvent pour un seul propriétaire. Les téléphones mobiles ont été conçus, vendus et achetés depuis le début pour être transportés d’un endroit à l’autre, allant de domicile-travail, et vice-versa, vivant dans nos poches et nos sacs à main.

e) C’est universel : Le téléphone mobile s’est vendu à des milliards d’unités, parce que, semble-t-il, presque tout le monde veut se connecter, pour être en contact avec ses collègues, amis et proches et se sentir en sécurité en cas d’urgence.

La téléphonie mobile a donc ouvert la voie à l’inclusion sociale et certainement à l’inclusion financière.

Mesdames, messieurs, l’économie numérique conjuguée à l’inclusion financière ou l’inclusion financière numérique est « le résultat de l’accès numérique aux services financiers formels et de leur utilisation par les populations jusque-là exclues ou mal servies».

Fort de ce qui précède, la BRH de concert avec la Banque Mondiale a élaboré sa stratégie nationale d’inclusion financière autour de cinq piliers :

Ces cinq piliers visent à améliorer la disponibilité, l’accessibilité et la qualité des services financiers fournis aux groupes cibles susmentionnés. Plus précisément, il s’agit :

Pilier 1 – Des services financiers pour faciliter l’inclusion et la réduction de la pauvreté – il s’agit de favoriser la prestation de services financiers destinés aux particuliers et aux ménages à faible revenu, y compris des produits d’épargne et de crédit, des paiements de gouvernement aux particuliers, des transferts, des micro-assurances et des micro-pensions.

Pilier 2 – Du crédit pour la croissance économique – Nous allons encourager le développement du financement des MPME (Micro, Petites et Moyennes entreprises), du financement agricole, et du financement du logement, y compris des instruments d’assurance pour aider à gérer les risques.

Pilier 3 – Des services financiers de proximité – Nous allons améliorer l’accès aux services financiers par le développement de réseaux d’agents non bancaires, de la monnaie électronique et de la finance digitale. Le projet Processeur National de Paiement (PRONAP) dont la mise en production est prévue pour la mi-janvier 2017 entre en droite ligne avec cet objectif.

Pilier 4 – Éducation et protection des consommateurs – il s’agit de créer et de mettre en œuvre un cadre pour la promotion de l’éducation financière et la protection des consommateurs en Haïti.

Pilier 5 – Renforcement des institutions et des infrastructures – Nous allons soutenir le renforcement et la consolidation des coopératives d’épargne et de crédit et des institutions de micro finance non mutualistes, implémenter un cadre juridique pour le secteur de l’assurance, et renforcer l’infrastructure financière et les infrastructures de soutien, y compris l’identification biométrique ainsi que la titrisation des terres en milieu urbain et rural.

Mesdames, messieurs les défis à venir sont cependant énormes

En dehors de la mise en oeuvre des réformes en cours, la stratégie nationale d’inclusion financière d’Haïti, afin de réaliser la vision de la BRH, se doit de relever les défis suivants :

1. Elle devra aider les utilisateurs et fournisseurs de services financiers à résoudre:

o L’irrégularité et la faiblesse des revenus de certains ménages défavorisés et des MPME, ce qui donne lieu à des transactions de plus en plus petites (et aussi plus chères) et qui génère un besoin en produits et services financiers pouvant aider à gérer les risques et à lisser la consommation ;

o Les faibles niveaux d’éducation formelle et d’alphabétisation qui entravent la capacité de la population d’Haïti à comprendre et à utiliser les services financiers formels;

o L’absence d’un cadre légal et réglementaire de protection des consommateurs de services financiers;

o Le haut niveau d’informalité de l’économie haïtienne, en particulier, les MPME, ce qui peut faire obstacle à leur capacité à accéder aux services financiers, en particulier les prêts;

o L’incapacité d’un grand nombre d’haïtiens à disposer d’une pièce d’identité, et des garanties appropriées pour les prêts, particulièrement dans les zones rurales. Selon le HCR 1.82 millions d’haïtiens ne disposent pas de document d’identification officielle et, selon certaines estimations, un million d’Haïtiens ne disposent pas de certificats de naissance. Cela limite leur capacité à mener à bien toute transaction avec une institution financière, y compris l’ouverture de comptes (au-delà des comptes de portefeuille électronique de base);

o Le problème de l’authenticité des titres de propriété, ce qui décourage une plus grande utilisation de la terre à titre de garantie, bloquant ainsi des investissements viables et limitant la demande de crédit.

2. En outre, la stratégie d’inclusion financière devra aider à établir un cadre approprié pour le développement de réseaux économiquement soutenables d’agents non-bancaires qui offrent tous types de services financiers à partir de fournisseurs officiels dans les zones urbaines, suburbaines et rurales qui ne disposent pas de succursales d’institutions financières. Considérant les évolutions observées dans d’autres pays où les agents non bancaires ont contribué de manière significative à accroître la disponibilité des produits et services financiers offerts par les banques et les autres entités officielles, la règlementation est entrain d’être révisée afin de permettre à ces institutions financières de mobiliser les agents en vue de fournir toutes sortes de services financiers au-delà de ceux qui sont déjà offerts, comme par exemple, permettre aux clients d’accéder à leur compte détenu chez les banques et/ou les coopératives d’épargne et de crédit, permettre aux clients d’ouvrir des comptes bancaires et de demander des prêts, d’ effectuer des transferts de fonds internationaux, de souscrire aux produits de la micro-assurance, etc. Dans peu de temps, un tel réseau d’agents devra être interopérable de manière à accroître sa viabilité et intensifier la concurrence entre les différents prestataires.

3. Elle devra également aider à :

o Diversifier les produits financiers, en particulier ceux orientés vers les personnes à faible revenu (par exemple, avec les comptes sans fioritures), les MPME (par exemple, à travers le crédit-bail et les produits de micro-assurance) et les agriculteurs (par exemple, à travers les produits d’assurance);

o S’attaquer au problème de la cherté relative de certains services financiers, notamment les transferts de fonds internationaux;

o Consolider les opérations des fournisseurs de services financiers viables orientés vers les ménages à faible revenu et les MPME (principalement des coopératives d’épargne et de crédit et les institutions de micro finance), et leur permettre de réaliser des économies d’échelle, de tirer profit des technologies de l’information et de la communication afin de diversifier leurs services, et d’accroître leur efficacité;

o Influencer, renforcer et améliorer l’impact des efforts des secteurs publics et privés visant à lutter contre la pauvreté, améliorer la santé et le niveau d’éducation des groupes vulnérables, promouvoir la production agricole et accroître l’efficacité et la production des MPME à forte valeur ajoutée pour l’économie nationale.

Cependant, le fait de recourir aux services financiers numériques par des clients auparavant exclus n’apporte pas que des avantages, mais engendrent divers types de risques nouveaux et changeants. Par exemple :

– Le Risque lié à la plateforme de transaction numérique: le fait de regrouper les fonds et de confier à une tierce partie le stockage et la gestion des soldes des comptes des différents clients engendrera des risques liés à l’exactitude en temps réel et au rapprochement des données d’un titulaire en difficulté de celles de l’entité gestionnaire des comptes.

– Les Risques liés à la technologie numérique : La qualité et la fiabilité de la technologie numérique influent sur les risques de perturbation du service et de perte de données, y compris d’instructions de paiement ;

– Les Risques liés aux agents. Les agents et leurs réseaux introduisent de nouveaux risques opérationnels, des risques de délits financiers et des risques associés au crédit à la consommation, risque de fraude, de vol d’argent et base de données, risque de contrevenir aux règles sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (AML/CFT) ;

Pour mitiger ces risques nouveaux et changeants, la Banque Centrale va devoir ajuster ses régimes de supervision et de règlementation.

Depuis ces cinq dernières années, les banques, en plus, des compagnies de téléphonie mobile recherchent de plus en plus à conquérir de nouvelles parts de marché et deviennent de plus en plus actives dans l’inclusion financière numérique.

– Pour les banques on peut citer :Soge izi, Unibank tout Kote et lajan cash de la BNC;

– pour la Digicel: mon cash et Tcho Tcho mobile

L’accès est seulement un premier pas vers l’inclusion financière. Nous voulons que tous puissent devenir des acteurs à part entière du système financier et non pas seulement des consommateurs de cette économie numérique. Nous voulons que tous du plus simple cultivateur au plus sophistiqué des entrepreneurs deviennent des contributeurs à cette économie numérique et au développement de notre pays.

Pour que tout un chacun puisse vraiment profiter de cette économie numérique, il faut que nous arrivions à réduire le gap de production lié très souvent au niveau d’apprentissage, aux défis de l’analphabétisme et à la carence d’infrastructures.

Mais je reste persuadé, que si chacun de nous y met du sien, nous arriverons à faire ce voyage à travers l’économie numérique vers une société haïtienne plus juste et plus inclusive.

Merci.



25 Avril 2025


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