Allocution du Gouverneur Jean Baden Dubois au Groupe de Travail des Banques Centrales Francophones sur l’Education Economique et Financière du Public
Groupe de Travail des Banques Centrales Francophones sur l’Education Economique et Financière du Public : Bilan et Suites
Rabat, le 26 mai 2022
Table ronde 5
Modérateur :
Monsieur Jean Baden Dubois,
Gouverneur de la Banque de la République d’Haïti (BRH)
Au nom de la Banque de la République d’Haïti et en mon nom propre, je remercie la Bank Al-Maghrib de m’avoir invité à la 26ème édition de la Conférence des Gouverneurs des Banques Centrales des pays francophones ainsi que la Banque de France pour son rôle important dans l’organisation de cet événement.
Je tiens particulièrement à remercier l’équipe organisatrice de m’avoir choisi comme Modérateur d’un panel aussi important dans notre stratégie d’ensemble sur le Groupe de travail des Banques centrales francophones sur l’éducation économique et financière du public à travers le bilan et perspectives.
Sans nul doute, les travaux de ce groupe ne commencent pas d’aujourd’hui, ils remontent plutôt à la 25ème réunion des gouverneurs francophones du 23 au 25 mai 2019 à Bordeaux où la décision a été prise en faveur de la création d’un groupe de travail commun sur l’éducation économique et financière du public.
Depuis lors, les travaux du groupe francophone sur l’éducation financière se sont organisés uniquement à distance en raison de la pandémie du Covid 19. Avec la participation de 22 banques centrales et institutions en charge de l’éducation financière représentant 34 pays, ce groupe de travail est co-présidé par la Banque Nationale de Belgique et la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest alors que son secrétariat est assuré par la Banque de France.
A ce stade, plusieurs travaux ont été réalisés, et je profite de l’occasion pour saluer la détermination et l’assiduité des représentants et représentantes de chacune de nos institutions. De ces travaux, un état des lieux a été réalisé à partir d’un questionnaire administré et rempli par les différentes institutions membres. Ce processus a donné lieu à l’élaboration d’un rapport de synthèse aboutissant à 15 recommandations.
Dix (10) de ces recommandations sont en ligne avec les principes de l’OCDE et s’adressent à chaque membre du groupe. Les cinq (5) autres recommandations reposent sur des actions communes aux banques centrales et aux institutions membres du groupe.
Pour le moment, deux recommandations d’actions communes aux membres du groupe sont en cours de réalisation. Il s’agit de :
- recommandation n°1 : visant la création et le maintien d’un réseau de correspondants permanents des banques centrales francophones en matière d’éducation économique et financière ;
- recommandation n°2 : portant sur le développement d’une plateforme d’échanges ou base de données entre banques centrales/opérateurs nationaux pour une mise en commun de l’ensemble des ressources éducatives communes en français.
Partage de l’expérience de la BRH en matière d’éducation financière :
En ce qui a trait à Haïti, depuis 2015, le pays s’est doté d’un Document de Stratégie Nationale d’Inclusion Financière (DSNIF). Cette Stratégie vise à permettre à la grande majorité de la population d’avoir accès à des produits et services financiers formels pouvant améliorer leur niveau de vie, et aux micros, petites et moyennes entreprises, de trouver le financement nécessaire pour se développer et s’accroître.
Le Document de la Stratégie Nationale d’Inclusion Financière poursuit cinq (5) objectifs et cinq (5) piliers. L’« éducation financière et la protection du consommateur » constitue un des cinq piliers de la Stratégie Nationale d’Inclusion Financière (SNIF). En 2018, une enquête nationale de mi-parcours (Finscope, Haïti 2018), permettant de mettre en évidence les progrès réalisés en matière d’inclusion financière, en Haïti, a été entreprise sur la population des (15 ans et +). Selon les conclusions de cette enquête nationale de ménages, soixante-treize (73) % des enquêtés n’épargnent pas ; soixante-onze (71) % d’entre eux sont régulièrement en manque d’argent car ils n’ont pas assez de revenus ; vingt-cinq (25) % ont toujours des difficultés financières ; cinquante et un (51) % n’ont pas d’argent après les dépenses de subsistance et quatre-vingt sept (87) % n’empruntent pas car ils ne veulent pas s’endetter. Il en ressort des résultats, bien que 54 % des enquêtées soient formellement incluses, 11 % seulement de la population ont un compte bancaire et 33% le sont à travers une institution de microfinance ou une coopérative d’épargne et de crédit.
Un Comité de Pilotage multi-acteurs a été mis en place, afin de travailler sur des réponses structurelles aux problématiques soulevées par l’étude. Présidé par la BRH à travers son Unité d’Inclusion Financière (UIF), le Comité est formé en autres, des représentants du Ministère de l’Économie et des Finances (MEF), du Ministère de l’Education Nationale et de la Formation Professionnelle (MENFP), de l’Association des Professionnelles des Banques (APB), de l’Association Nationale des Institutions de Microfinance (ANIMH), du secteur des télécoms, du secteur des ONG, du secteur des Coopératives d’Epargne et de Crédit, de l’Université, de la Société Civile, de l’Institut Haïtien de Statistiques et d’Information (IHSI). Les réflexions sur l’amélioration des relations entre les prêteurs et les emprunteurs et surtout ceux à faible revenu ont conduit à l’élaboration du Plan National d’Education Financière (PNEF) en collaboration avec l’Alliance pour l’Inclusion Financière (AFI).
Ainsi, l’élaboration du Plan National d’Éducation Financière (PNEF) constitue une réponse du Gouvernement haïtien répondant à plus de 53% de la population des (15 ans et +) de l’enquête qui ont exprimé la volonté d’accéder à l’éducation financière. En termes de méthodologie, pour faire suite aux réflexions du Comité, la BRH a procédé à la réalisation d’un inventaire de la communauté des praticiens en éducation financière. Cela a été un moyen de cerner l’existant pour pouvoir construire un modèle d’éducation financière plus réaliste. De plus, des interviews ont été choisies comme outil de travail de manière à collecter des informations sur les activités des praticiens en éducation financière et évaluer leurs impacts.
L’étape suivante a consisté en des travaux de recherche sur les bonnes pratiques et les directives émises par les organisations internationales telles que la Banque Mondiale, l’OCDE etc. Aussi, cela a été l’occasion de collecter des informations sur les leçons apprises. Le chemin parcouru par les membres de l’Alliance pour l’Inclusion tels la Banque Marocaine, la Banque Centrale du Pérou ont été mis à contribution. Un document est finalement élaboré, validé par le comité de pilotage et lancé en juin 2020, pour une durée de cinq (5) ans.
Le Plan National d’Éducation Financière (PNEF, Haïti 2020-2025) se veut de répondre à quatre (4) objectifs fondamentaux :
- Développer les compétences financières de la population et renforcer les institutions clé qui promeuvent l’inclusion financière ;
- Améliorer l’alphabétisation financière, c’est-à-dire la connaissance de la population sur les produits, services, concepts et risques financiers ;
- Entretenir et élargir une communauté de professionnels en éducation financière bien informée, proactive et collaborative, guidée par des principes pratiques et éthiques, afin de promouvoir une éducation financière objective et efficace ; et
- Responsabiliser les consommateurs des produits et services financiers vis-à-vis de leurs droits et obligations.
Le PNEF comporte six (6) axes stratégiques. Tout comme la SNIF, le PNEF met un accent particulier sur des groupes cibles : les agriculteurs, les femmes, les jeunes, les travailleurs migrants et leur famille, les personnes vivant dans les zones rurales et micro-entrepreneurs. Un ensemble d’indicateurs sont prédéfinis en fonction des objectifs qui sont établis.
Le Plan se veut :
- d’offrir un cadre permettant d’apporter des solutions concrètes aux principaux enjeux soulevés par les enquêtes FinScope;
- de mieux coordonner les pratiques d’éducation financière dans le pays et;
- rendre les jeunes des écoles et des universités, les ménages, les entrepreneurs de tous secteurs et les consommateurs financiers haïtiens plus sensibles aux risques et aux opportunités financières. Les femmes constituent une composante transversale à tous ces groupes.
Un plan d’action et une stratégie de communication sont mis en place de façon à faciliter le déploiement du plan sur le terrain. Des partenariats avec des organismes internationaux sont établis de façon à faciliter plus de synergies dans les actions sur le terrain. La diffusion des informations se fait à travers des conférences, des fora et des ateliers ciblant des groupes cibles (jeunes, entrepreneurs, femmes etc.) et des thématiques spécifiques telles que l’utilisation adéquate des produits et des services financiers ainsi que d’autres concepts économiques et financiers, en collaboration avec les différents acteurs de l’écosystème financiers.
Dans le cadre de la mise en œuvre du PNEF, un atelier de validation est programmé pour la fin du mois de Mai 2022 sur l’intégration des modules de l’éducation financière au niveau des écoles et des Universités dans le curriculum établi par le MENFP. Récemment comme résultat d’un protocole d’accord signé entre la Coopération Suisse et la BRH, dans le Cadre du projet Cadre National de Financement Agricole (CNFA), quatre-vingt-quinze (95) petites et moyennes entreprises (MPME), de chiffres d’affaires compris entre 150,000 gourdes et 2 millions de gourdes, ont été encadrées par quatre (4) firmes privées spécialisées dans l’entrepreneuriat recrutées par la BRH. L’accompagnement a consisté en une formation en éducation économique et financière et la mise en place d’un plan d’affaires.
Dans une perspective de renforcement de la capacité de la communauté, et de façon à préparer l’évaluation mi-parcours, un inventaire plus systématique et un mapping des acteurs d’accompagnement seront réalisés de façon à collecter des informations plus élaborées sur les méthodologies utilisées et leur zone d’intervention. Une évaluation de mi-parcours est prévue à la 3ème année d’activités afin d’ajuster les stratégies établies.
Bien qu’il reste encore du chemin à parcourir, un ensemble d’activités ayant lien avec les cinq (5) piliers de la Stratégie est déjà réalisé. Nous citons, entre autres : La mise en place du Processeur National de Paiement (PRONAP), les travaux liés à la mise en place du projet Bitkob, la réalisation de la Cartographie d’inclusion financière, le concept « Lista » (un support digital à l’éducation financière[1]. Ce sont autant de travaux d’infrastructures financières qui doivent contribuer au renforcement de l’inclusion financière en Haïti.
A côté des efforts du Gouvernement haïtien, des partenaires internationaux comme la Banque Mondiale (BM), l’Agence des Etats-Unis pour le Développement International (USAID), la Fondation Capital, l’Alliance pour l’Inclusion Financière (AFI), la Coopération Suisse, la Coopération Canadienne sont autant de partenaires internationaux qui nous accompagnent dans le parcours. Nous comptons profiter de l’expérience de chacun de vous membre du groupe des Banques Centrales francophones sur l’éducation économique et financière du public pour pouvoir mieux appréhender la problématique de l’éducation financière qui nous réunit tous, encore une fois ce matin.
[1] Testé sur le terrain par Fondation Capitale sur 500 clients de l’Association pour la Coopération et la Micro Entreprise (ACME)