Discours du Gouverneur Jean Baden Dubois à l’occasion de la conférence débat sur les transferts de fonds vers Haïti et leurs impacts sur l’économie nationale
Mesdames, Messieurs,
Chers participants,
C’est un plaisir de participer à cette conférence-débat sur les « transferts de fonds vers Haïti et leurs impacts sur l’économie nationale ». Je remercie le Coordonnateur Général du Conseil de Développement Economique Et Social de la Primature, M. Louis Naud Pierre, pour son invitation que j’ai acceptée avec d’ autant plus d’empressement que le sujet est d’importance pour la banque centrale.
J’espère que ce colloque –avec cette brochette d’analystes distingués et experts de haut niveau comme Charles Castel, mon prédécesseur à la BRH, Fritz Duroseau mon actuel collègue au Conseil d’ Administration, et d’autres spécialistes universitaires et de la communauté internationale- donnera lieu à des échanges fructueux susceptibles de conduire à des politiques publiques favorables à la stabilité et à la croissance économiques.
Mesdames, Messieurs,
Il est difficile d’exagérer –au moins pour Haïti- l’importance des remises de fonds, communément dénommées Transferts de fonds sans contrepartie en provenance de l’étranger ou encore Transferts courants dans la nomenclature internationale de la balance des paiements. Cet agrégat, qui regroupe les dons officiels officiels reçus de l’étranger et les envois de travailleurs d’origine haïtienne, s’élevait à US $2,5 (26.1% du PIB) milliards en 2014, dont 563.0 millions de dons officiels et US $2.0 milliards (19.7% du PIB) en remises de travailleurs. Les transferts courants (sur une base nette) devraient atteindre US $2.7 milliards par an (29.2% du PIB) et les envois de travailleurs autour d’US $2.3 milliards (25.0% du PIB) de cette année à l’exercice 2020-2021. A 22.7% du PIB en 2014, Haïti figure en 8ème place dans la liste des plus gros receveurs de transferts (ou les pays les plus dépendants des envois de travailleurs) après le Tadjikistan, la République Kyrgyz, le Népal, Tonga, la Moldavie, le Libéria et les Bermudes, selon la Banque Mondiale.
Mesdames, Messieurs,
Les transferts courants ne sont pas « produits » par l’économie comme le sont les exportations de biens et services et ne dépendent pas de l’économie comme le sont les importations de biens et services. Les recettes d’exportations nettes proviennent d’activités réelles servant de contrepartie alors que les transferts de fonds courants C’est un agrégat relativement autonome par rapport au reste du pays. En fait, il y aurait une relation négative entre l’état de l’économie et les transferts courants dans la mesure où l’aide humanitaire ainsi que les envois de travailleurs augmentent sensiblement après les catastrophes naturelles, ceteris paribus. En attendant plus d’études sur le sujet, les transferts de fonds semblent dépendre beaucoup plus du revenu des pays expéditeurs que de l’action des pays receveurs.
Ainsi la stagnation économique, la dégradation de l’ environnement physique et l’ explosion démographique, en favorisant l’ émigration massive –souvent illégale- de ressortissants haïtiens vers l’ Amérique du Nord et les Caraïbes (et maintenant vers l’Amérique du Sud) coïncident avec une expansion extraordinaire des transferts courants de US $64.8 millions en 1981 à US $234.3 millions en 1991 pour atteindre US $768.6 millions en 2001 et US $2.8 milliards en 2011.
Un premier constat est que les transferts courants, tout en finançant le reste de l’économie, augmentent plus vite que le PIB et, par conséquent, ne contribuent pas beaucoup à la croissance. Un deuxième constat qui dérive du premier : à part la construction de résidences et l’acquisition d’instrument aratoires et d’autres outils de production, les transferts de fonds, particulièrement les envois de travailleurs, financent de plus en plus plus les importations de produits alimentaires ou d’habillement, au détriment de la production locale.
Un troisième constat est le dynamisme observé des transferts vers l’extérieur (par opposition aux transferts de l’extérieur) notamment depuis le tremblement de terre de janvier 2010. Renforçant une tendance qui remonte à la fin des années 1980, avec les turbulences universitaires et la dégradation relative de la qualité de l’enseignement, des transferts vers l’extérieur financent en permanence la scolarité des membres de familles émigrés, souvent depuis le niveau secondaire.
Mesdames, Messieurs, La BRH a la charge de la préparation de la balance des paiements et, par conséquent, compile les données sur les transferts courants de fonds, notamment les envois des travailleurs, aussi bien vers que de l’extérieur. Elle travaille conjointement avec ses partenaires notamment l’ IHSI, le Centre d’Etudes Monétaires Latino-Américains (CEMLA), la BID et le FMI pour l’amélioration constante de la qualité des données statistiques. La BRH également surveille de près les flux de transferts à des fins d’évaluation systématique des liquidités sur le marché des changes et le marché monétaire, dans le cadre de l’exécution de la politique monétaire.
Les transferts sous forme d’envois de travailleurs sont devenus la plus grande source de financement extérieur dans les Caraïbes et en Afrique, dépassant de loin l’aide officielle au développement, les investissements directs et les investissements de portefeuille. Le récent rapport de la Banque Mondiale prévoit que les envois de travailleurs dépasseront US $500.0 milliards l’an au cours des prochaines années.
Mais, outre l’ampleur de ces flux, il a été observé que les transferts de fonds « possèdent une valeur intrinsèque en matière de développement » et jouent un rôle de « vecteur pour faciliter la plus grande inclusion financière », selon l’Organisation Internationale de la Francophonie. Les revenus de transferts supportent la consommation journalière en nourriture et en énergie ainsi que les investissements de base dans l’éducation, par exemple. Ces ressources permettent également de financer le lancement de bon nombre de petites et moyennes entreprises et représentent également « un important outil d’amélioration de l’autonomisation économique des femmes… ».
Dans ce contexte, la BRH met tout en œuvre pour la réalisation de l’objectif mondial de réduction des coûts des transferts de 11 à 5%, l’accès aux services de transferts pour les plus pauvres et l’ utilisation des transferts pour faciliter une plus grande inclusion financière et une croissance économique de qualité.
Sur ce, Mesdames et Messieurs, je souhaite le plus grand succès à la conférence.
Merci.
Port-au-Prince, le 28 mars 2017