Discours du Gouverneur Jean Baden Dubois à l’occasion du cocktail du 7ième Sommet International sur la Finance
Mesdames/Messieurs les PDG et Représentants des banques commerciales
Mesdames/Messieurs les Représentants du secteur privé
Monsieur le PDG du Group croissance
Monsieur le PDG de PROFIN
Chers collègues du CA de la BRH
Mesdames/Messieurs
Le Sommet International sur la Finance est devenu le rendez-vous annuel le plus prisé pour les praticiens des questions économiques et financières comme pour les académiques en quête d’un espace de réflexions structurantes sur le financement du développement en Haïti. Le forum, il est vrai, a pris ces dernières années une dimension majeure avec la forte diversité et le caractère utilitaire des activités développées dans les ateliers de travail. La deuxième édition du Fin Tech qui se tient dans la continuité d’une initiative heureuse qui a débuté l’année dernière atteste de la bonne santé d’un Sommet qui a désormais pignon sur rue et acquis ses lettres de noblesse.
Cette année encore, le menu est copieux mais équilibré. Un arbitrage difficile mais toujours à la portée d’organisateurs efficients qui ne sont pas à leur coup d’essai. Les activités sont de première qualité, ce qui garantit la satisfaction de cette auguste assemblée que vous formez et des esprits critiques que vous représentez. La richesse du Sommet International de la Finance est là ; dans ce creuset d’idées et de diversités. Bienvenue à la 7ième édition. Le thème central est de la plus haute importance : Financer l’Immobilier en Haïti. Il est au cœur d’une problématique plus large : le besoin d’une croissance forte et soutenue face à une dynamique démographique intense.
Mesdames et Messieurs,
Je voudrais me faire complice d’un acte de contagion ce soir. Celui de vous communiquer la joie et l’enthousiasme que je ressens à délivrer cette adresse à l’occasion de la 7ième édition du Sommet Internationale sur la Finance et de la deuxième édition du Fin Tech. Mais je ne parle pas qu’en mon nom.
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Je parle au nom du Group Croissance et de son Président-Directeur Général Kesner Pharel à qui j’adresse un hommage chaleureux pour la qualité d’organisation et la régularité d’un événement qui gagne en ampleur chaque année sur le plan de la participation et sur celui de la pertinence de thèmes d intérêt majeur pour les politiques publiques et les acteurs économiques.
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Je parle au nom des multiples stake holders dont la qualité et le niveau de représentation attestent de l’intérêt d’une communauté grandissante pour les questions de la Finance et pour le financement du développement en général.
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Je parle certainement au nom de la Banque de la République d’Haïti qui, depuis quelques années, est passée de l’autre côté des coulisses pour devenir une coorganisatrice active du Sommet. Notre équipe travaille d’arrache-pied à améliorer la valeur ajoutée que notre institution apporte à l’organisation de l’événement. Elle garantit ainsi l’objectif de familiariser davantage les acteurs économiques avec la vision, les objectifs, les instruments de la Banque Centrale ainsi que les contraintes auxquelles elle fait face.
Vous comprenez donc pourquoi le succès qui couvrira les assises qui se tiennent durant les cinq jours ouvrables de cette semaine de la Finance ne sera pas le fruit du hasard. Un nombre important d’acteurs y aura contribué. Aussi, permettez-moi d’associer la voix de l’auguste assemblée que vous représentez à celle du Conseil d’Administration de la BRH pour adresser des remerciements chaleureux à tous ceux qui, personnes physiques ou morales, à un niveau ou à un autre, auront fait de cette 7ième édition un succès de plus.
Mesdames et Messieurs,
La problématique du développement demeure le thème majeur dans un pays, où dans 65% des cas, le Produit Intérieur Brut par tête d’habitant est négatif sur les 36 dernières années. Pour le banquier central que je suis, le financement de la croissance, dans des conditions macroéconomiques saines, est au cœur de cette problématique. Il s’agit donc d’exclure les extrêmes que sont l’euphorie de la précipitation et la paralysie de l’attentisme. De ce point de vue, la consolidation des institutions financières, leur développement et l’élargissement de leur spectre d’action représentent la voie qui sied à une démarche raisonnée de politique monétaire propre à supporter la croissance.
La Stratégie Nationale d’Inclusion Financière participe de cette démarche et notre présence renforcée à ce Sommet répond au besoin d’en assurer la promotion à travers l’un des piliers importants de cette stratégie : l’éducation financière. C’est ainsi qu’au cours de la semaine dernière et pendant toute la semaine consacrée à la Finance, des cadres de la BRH se déplacent dans les écoles secondaires publiques et privées pour exposer aux écoliers des classes terminales des éléments basiques en économie et en Finance et traiter de sujets se rapportant à la mission et aux activités de la Banque de la République d’Haïti.
L’éducation financière est une entreprise de longue haleine qui devra toucher toutes les composantes de la population. Elle est pourtant appelée à porter des fruits assez rapidement et l’espérance de son rendement socioéconomique est parmi les plus élevées. Pour un Policy Maker, rien ne vaut une population éduquée des questions économiques et informées des politiques mises en œuvre. C’est la garantie première à l’émergence d’une double prévisibilité : celle de la réponse des agents économiques aux mesures envisagées et celle des solutions que doivent apporter les décideurs aux problèmes soulevés. Ce qui constitue la voie royale de la primauté des règles dans la conduite des politiques publiques sans omettre le rôle que jouent ces informations dans la formation des anticipations.
Une telle démarche devrait bénéficier tant qu’au cadre unique de l’environnement macroéconomique qu’aux cadres multiples des politiques sectorielles. Et dans le cas qui nous concerne aujourd’hui, à la réussite d’une politique éclairée de financement du secteur immobilier. Ce secteur se trouve à la jonction de trois dimensions d’un développement durable et intégré. Il est une sous-branche importante de la branche des Bâtiments et Travaux Publics autour de laquelle se construisent les infrastructures économiques et sociales. Il est un indicateur de mobilité sociale et de renforcement des classes moyennes. Il est une composante pérenne du moteur de la croissance économique à travers des effets directs notables et des effets induits renouvelés. Voilà pour l’essentiel, les motivations de la banque Centrale dans la promotion de ce secteur.
Mesdames et Messieurs
Le déficit de logements est un problème structurel que certains experts font remonter à la période de l’indépendance. Il participe d’une situation plus large liée aux problèmes de l’habitat et de l’urbanisation sans l’exclure de la problématique globale de l’aménagement du territoire. Cependant la nature du problème requiert une approche jointe qui tient de considérations de moyen et de long terme. Il s’en suit que les réponses aux problèmes du logement ne peuvent attendre la longue période de mise en branle d’une politique complète d’urbanisation. Elle doit, par contre, en tenir compte pour s’assurer de la durabilité des investissements dans le domaine et réduire les coûts futurs d’expropriation que la modernisation urbaine imposera aux ménages et au Trésor Public.
Les réflexions et les dispositions de la Banque Centrale en faveur du financement du secteur de l’immobilier remontent bien avant le 12 janvier 2010. La plus ancienne de ces dispositions date de la loi (décret) de création des Banques d’Epargne et de Logement qui les exonère de 50% des réserves obligatoires en vigueur. Ce qui atteste d’une forte tradition de préoccupation de l’institution pour le financement du secteur immobilier qui a cumulé, en 2009, un déficit d’offre de logements de 300,000 unités sur un stock de logements occupés de l’ordre de 2,1 millions unités selon des estimations venant de sources combinées.
Le séisme est venu fortement creuser le déficit d’offre déjà très sérieux. Les estimations cependant tombent dans un intervalle trop large pour être concordantes. Elles vont d’un minimum de 105,000 à un maximum de 300,000 unités détruites. Fort heureusement, une statistique qui fait autorité, puisque venant de l’Etat haïtien, estimait en 2013, que « la zone métropolitaine de Port-au-Prince à elle seule nécessitera au moins 500,000 unités de logement supplémentaires pendant les 10 prochaines années pour combler le déficit d’avant séisme, pour réparer les dégâts du tremblement de terre et pour répondre à la demande substantielle de logements consécutive au développement urbain. »
Aujourd’hui, on ne peut approcher la question du logement en Haïti qu’en termes de crise profonde. Mais tout profonde qu’elle est, cette crise contient les germes du renouveau. Il dépendra du leadership des autorités publiques et de la perspicacité des investisseurs privés pour en tirer partie. La nature du problème immobilier en fait un secteur à potentiel très élevé de croissance. Il ne s’agit pas que d’unités de logement à bâtir. Dans une perspective moderne : il s’agit d’un domaine dont le profil et le contenu restent à concevoir ; il s’agit d’un espace économique dont la portée sociale est essentielle si l’on veut reconstituer les classes moyennes ; Il s’agit d’un secteur qui se prête aisément à une dynamique large de création de richesse grâce à la multiplicité des chaines de valeurs qu’il induit et la durabilité du processus qu’il peut enclencher.
Conduire tous azimuts une politique de développement du secteur immobilier est donc une nécessité d’un point de vue social et un passage obligé d’un point de vue économique. Une entreprise conséquente qui visera à réparer un drame séculaire qui trouve ses manifestations dans un habitat rural épars et une expansion anarchique des espaces urbains. La Banque Centrale s’attèle à trouver les meilleurs moyens, en termes de montages et de mécanismes financiers, pour amplifier son apport à la mise en branle d’un projet qui reste un objectif majeur de croissance et de développement. Son rôle demeure ancré dans les dimensions (économiques) jointes de ce projet d’envergure :
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Une contribution incitative à la constitution par le secteur privé des affaires d’une offre diversifiée de logements et d’immeubles dans les meilleures conditions de coûts et d’environnement physique
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La promotion d’une dynamique de croissance susceptible de garantir la solvabilité d’une demande en progression régulière qui permette une rentabilité suffisamment élevée pour viabiliser le secteur
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L’effort de mobilisation des ressources pour financer les lourds investissements nécessaires à la réalisation d’économies d’échelle bénéfiques au marché. Je vous ferai grâce de calculs financiers rébarbatifs qui ne cadrent pas nécessairement avec mon adresse. Mais tentons pour le moins une arithmétique simple de la question immobilière. Restons dans la lignée d’une étude rendue publique après le séisme de 2010 pour nous en tenir à une demande annuelle de 4500 à 5000 unités venant de la classe moyenne. Dans des conditions raisonnables d’économie d’échelle, un prix unitaire moyen de $75,000 est dans l’ordre des transactions possibles pour des logements de niveau standard. Nous aboutissons pour cette seule composante de classe moyenne à un niveau annuel de l’ordre de 350 millions de dollars d’investissement résidentiel. Des ressources à la portée du système financier formel et dont le coût d’emprunt ne dépasserait pas les $700 le mois pour tendre vers les $350 au terme d’un prêt immobilier de 20 ans assorti d’intérêt bonifié de l’ordre de 5% à 6%.
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Je n’irai pas plus loin en inférence pour projeter les effets directs et les effets d’entrainement d’un tel effort d’investissement sur l’économie. Contentons-nous d’admettre qu’ils sont potentiellement importants et durables s’ils sont renouvelés sur un horizon de moyen terme. Mais les étapes, diriez-vous, pour rendre faisables des objectifs de cette envergure, dans le cadre du développement du secteur immobilier, sont multiples et tiennent à de fortes pesanteurs de nature structurelle, légale et institutionnelle.
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Les contraintes majeures du problème cadastral qui limitent la mise en œuvre d’une politique de l’habitat, rationnent le financement immobilier tout en renchérissant les coûts.
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La multiplicité de coûts administratifs et fiscaux dont le cumul grève la part des ressources financières préposées à l’implantation immobilière proprement dite.
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L’inadéquation d’un cadre légal suranné qui occasionne de sérieux coûts d’immobilisation sur le portefeuille de crédit immobilier des institutions financières en raison de trop longs délais de réalisation de propriétés données en gage.
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Ces problèmes, pour ne citer que ceux-là, font partie d’un environnement globalement défaillant qui décourage les investissements dans le secteur et dilue les impacts des mesures incitatives à son financement. D’où le rôle fondamental que les politiques publiques sont appelées à jouer pour desserrer les contraintes d’un domaine de production capable de porter la croissance et d’animer des pans divers de l’activité économique. L’arrêté d’application de la loi sur la copropriété est un pas dans la bonne direction. Il incite à la modernisation d’un secteur dont la réalisation du plein potentiel requiert deux voies d’actions :
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Celle portant sur les contraintes de nature structurelle et de nature juridico-administrative pour créer un cadre d’attraction et de rentabilité suffisantes des investissements.
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Celle visant à réduire sur le moyen terme la composante des importations dans les coûts de construction pour magnifier les effets indirects induits par la croissance du secteur.
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Sur le plan de la mobilisation des ressources, la Banque Centrale poursuit les travaux nécessaires à la mise en phase de son action avec les exigences de développement du secteur immobilier. L’accent est mis particulièrement sur les contours de l’environnement financier propre à supporter l’effort de financement qui devra mobiliser l’ensemble des acteurs du système bancaire et au-delà. Nous sommes conscients des limitations d’une approche partielle où les préoccupations de coûts l’emportent sur la coordination de politiques publiques d’horizons divers. C’est pourquoi nos réflexions portent en priorité sur la mise en séquence des actions de politiques qui permettront de raccourcir les délais de réalisation des objectifs visés.
Entre temps, la politique de stimulation du crédit en faveur du relèvement du secteur de logement suit son cours. Comme vous le savez, La BRH a pris des mesures pour exonérer de réserves obligatoires les ressources collectées par les banques et utilisées à des fins de crédit au logement et au secteur hôtelier. De même des protocoles d’accord ont été signés avec certaines banques dans le cadre d’un programme visant à financer, en des termes favorables, l’acquisition, la rénovation ou la construction de logements au bénéfice de clients solvables. Les réponses du marché immobilier à ces dispositions prendront de l’ampleur au fur et à mesure que s’aplaniront les contraintes de nature structurelle et institutionnelle comme celui du cadastre.
Pour contourner ce dernier problème, la BRH s’est engagée dans des réflexions pour orienter un pan de sa politique du logement vers le financement de promoteurs ou développeurs de grands projets immobiliers au bénéfice des cadres de la fonction publique, des professionnels et de la diaspora haïtienne. Ces projets devraient viser la Construction de complexes d’appartements destinés à la location ou à la vente en copropriété, la construction de villages résidentiels, l’acquisition et la viabilisation de terrains destinés à un projet de logement.
Ce programme, une fois lancé, devrait servir de base au développement, dans le moyen terme, d’un marché obligataire à travers la titrisation des portefeuilles de prêts immobiliers. La mise en place d’un tel marché pourrait contribuer à une meilleure allocation de l’épargne des agents économiques, alimentant ainsi un cercle vertueux de développement de ce secteur d’avenir.
Mesdames, Messieurs
J’espère vous avoir communiqué un peu de mon enthousiasme sur la question immobilière. Au départ je faisais remarquer que la voie des solutions au problème du secteur n’est pas celle des extrêmes : ni précipitation… ni attentisme. La réponse au séisme du 12 janvier 2010 fut un bon exemple de ce comportement mesuré. La BRH a ressorti des mesures qui portaient sur le coût et l’accessibilité du crédit au logement. Une démarche qui, dans un premier temps, rentrait nécessairement dans le cadre d’une approche partielle. Pour le débiteur comme pour un créancier, ce sens de l’urgence ne pouvait trouver réponse que dans les instruments de politique monétaire pour apaiser les tensions du marché immobilier et inviter les agents économiques à plus d’optimisme.
Avec le bénéfice du recul, une approche plus complète s’est imposée à la réflexion sur la problématique de l’immobilier. Elle permet d’intégrer une meilleure compréhension des dimensions d’avant et d’après séisme dans les solutions qui se dessinent. Au cours des dernières années, les réflexions sont passées par un processus de maturation qu’on retrouve dans la qualité des propositions et le caractère d’application qui s’y dégage. Le 7ième Sommet de la Finance est l’espace idéal pour consigner ces propositions dans un cadre cohérent de réflexions pour l’action. Praticiens des questions la Finance, décideurs politiques, professionnels du secteur, universitaires et investisseurs y trouveront leur compte. Voilà tout le bien fondé de cet enthousiasme que je veux être contagieux.
C’est donc avec emphase que, au nom du Conseil d’Administration de la Banque de la République d’Haïti, je remercie tous ceux qui font de ce Sommet ce succès qu’il est déjà. Ces remerciements vont particulièrement à l’équipe du groupe Croissance et à son PDG Kesner Pharel ainsi qu’à l’équipe de la BRH qui a travaillé sous la supervision d’un membre du Conseil d’Administration en la personne de Ronald Gabriel. Qu’ils trouvent ici l’expression de notre reconnaissance.
Merci!